Si vous avez déjà mangé des pâtes, il y a de grandes chances pour que vos pâtes aient été faites à partir de blé dur cultivé au Canada, le pays qui assure plus de 50 pour cent des exportations mondiales de blé dur.
Soutenue par un financement offert dans le cadre de l'Initiative de recherche et développement en génomique mise en place par le gouvernement du Canada, une équipe du Centre de recherche en développement des cultures et des ressources aquatiques du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) à Saskatoon fait aujourd'hui avancer la recherche pour que le blé dur canadien continue de dominer le marché mondial.
Inconvénients du blé dur
Le blé dur est un ingrédient idéal pour les pâtes, mais comme toutes les autres céréales, il est sensible à un certain nombre d'agents pathogènes et en particulier à la brûlure de l'épi causé par le fusarium. Cette maladie (FHB en anglais) est l'une des plus graves et des plus difficiles à contrôler chez les céréales. Non seulement elle réduit les rendements, mais elle produit en plus une toxine qui peut rendre le grain impropre à la consommation par les humains et les animaux.
Pierre Fobert (Ph. D.), directeur de programme au CNRC, explique que « le blé dur ne possède pas la résistance génétique à la brûlure de l'épi de blé que les sélectionneurs ont réussi à octroyer aux autres types de blé. »
Et il y a un autre problème : « Même une brûlure de l'épi de blé apparemment bénigne peut produire de grandes quantités de toxines pour rendre le blé non comestible, explique-t-il. Nous voulons donc aussi améliorer la résistance du blé dur à l'accumulation de cette toxine. »
Il faut toute une armée (de gènes)
Comme le précise M. Fobert, il faut l'effort combiné d'un certain nombre de gènes qui engendrent chacun un léger effet pour obtenir une résistance efficace contre la brûlure de l'épi de blé et éviter également l'accumulation de la toxine associée.
« Un gène n'ayant que peu d'effet seul, il est difficile pour les sélectionneurs de savoir si tous les gènes, ou même seulement la plupart d'entre eux, ont été conservés d'une étape à l'autre du processus de sélection, révèle M. Fobert. C'est là où la génomique peut vraiment être utile. »
M. Fobert et son équipe, qui compte notamment dans ses rangs Kerry Boyle, Wentao Zhang (Ph. D.) et David Konkin (Ph. D.) du CNRC, colligent des informations génétiques détaillées qui peuvent aider les sélectionneurs à accélérer le développement de nouvelles variétés de blé dur résistantes à la brûlure de l'épi du blé.
Tirer parti du succès de l'IRDG
Dans le cadre d'un précédent projet financé par l'IRDG, l'équipe du CNRC a identifié des marqueurs moléculaires qui révèlent l'emplacement d'un certain nombre de gènes associés à la résistance du blé dur à la brûlure de l'épi de blé. Dans le cadre du présent projet, l'équipe s'est appliquée à affiner ces marqueurs et à les utiliser.
« Il est très difficile, en temps, efforts et argent, de trouver l'emplacement exact de ces gènes associés à la résistance, ajoute M. Fobert, mais avec le nouveau financement accordé dans le cadre de l'IRDG et le soutien de la Saskatchewan Wheat Development Commission, de l'Alberta Wheat Commission et de Genome Prairie, nous sommes parvenus à établir une cartographie fine des gènes et à déterminer la section du génome dans laquelle se situe les principaux gènes liés à la résistance. »
Armés de cette nouvelle information, les chercheurs du CNRC ont mis au point plusieurs lignées de blé dur prometteuses pour la création de variétés résistantes à la brûlure de l'épi de blé. « Nous en sommes aujourd'hui à la 8e génération sous notre serre, rapporte M. Fobert. À chaque génération, nous n'avons gardé qu'une poignée de plantes, celles qui présentaient la combinaison recherchée des marqueurs de la résistance que nous avions identifiés, pour obtenir des lignées qui conservent ces marqueurs d'une génération à l'autre. »
La collaboration, moteur du progrès
Ron DePauw (Ph. D.), ancien chercheur et sélectionneur principal de blé à la station de recherche d'AAC de Swift Current (en Saskatchewan), rapporte que la vaste collaboration requise pour augmenter à ce point la résistance du blé dur à la brûlure de l'épi du blé reflète parfaitement la difficulté de travailler sur le génome du blé qui est très gros — soit 5 fois plus gros que celui de l'humain — et très complexe.
« Conférer au blé dur une résistance génétique à la brûlure de l'épi du blé fait l'objet d'une bataille ardue depuis des années à cause du manque de gènes de résistance robustes et des outils pour suivre ces gènes, rappelle M. DePauw. Aujourd'hui, grâce au travail collaboratif de plusieurs équipes — l'équipe du CNRC dirigée par Dr Fobert, l'équipe de l'AAC à Swift Current, dont font partie Ron Knox (Ph. D.) et Yuefeng Ruan (Ph. D.), et le Crop Development Centre de l'Université de la Saskatchewan, dirigé par Curtis Pozniak (Ph. D.), qui se sont tous inspiré des travaux de John Clarke (Ph. D.), spécialiste du blé dur à l'AAC aujourd'hui à la retraite — les chercheurs sont à la veille d'assembler l'énorme ensemble de gènes qui permettra de conférer à une même céréale facilement cultivable à la fois la résistance à la brûlure de l'épi de blé et les qualités nécessaires à la confection de pâtes délicieuses. »
Sur le terrain
Les essais sur le terrain constituent la prochaine étape. « Il faut absolument vérifier le comportement de ces plantes sur le terrain et voir s'il y a des modifications de la transmission des marqueurs de la résistance avec les conditions rencontrées durant la période de croissance, conditions qui peuvent varier d'une année à l'autre, tempère M. Fobert. Nous avons donc encore du pain sur la planche pour quelques années. »
Quoi qu'il en soit, M. Fobert et son équipe sont convaincus que les lignées qu'ils ont développées passeront les tests sur le terrain et qu'elles offriront aux sélectionneurs de blé de nouvelles possibilités d'améliorer la résistance du blé dur à la brûlure de l'épi du blé, et qu'elles rassureront les amateurs de pâtes du monde entier.