À une heure de route environ à l'est d'Ottawa, des chercheurs fédéraux ont fait ce que l'on appelle « une suppression catastrophique des habitats riverains » dans un bassin hydrographique expérimental aménagé le long de la rivière Nation Sud. L'expérience consistait à bouleverser l'habitat naturel de façon contrôlée, mais réaliste afin d'illustrer comment les nouvelles techniques de génomique peuvent nous aider à mieux saisir l'impact de diverses pratiques de gestion des terres agricoles et de l'eau sur l'écosystème et la santé humaine.
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Trois ministères participent au projet que codirigent David Lapen, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), le chercheur Donald Baird, d'Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), et le vétérinaire Nick Ogden, de l'Agence de la santé publique du Canada (ASPC). Le projet figure parmi les 16 études distinctes, mais reliées, que finance l'Initiative de recherche et développement en génomique (IRDG) fédérale et qui forment le projet quinquennal d'Écobiomique de l'IRDG, auquel collaborent 64 scientifiques de sept ministères et organismes fédéraux.
Santé publique
Avec le projet de la rivière Nation Sud, M. Ogden montrera comment les techniques de métagénomique élaborées grâce aux fonds de l'IRDG aident l'ASPC à mieux suivre les zoonoses, ces maladies infectieuses que les animaux transmettent à l'être humain, comme la fièvre du Nil occidental et la maladie de Lyme.
« Un petit nombre d'espèces de moustique propage la fièvre du Nil occidental et nous tentons de voir comment leur population peut changer à la suite d'une modification de leur habitat », explique le chercheur. « Jusqu'à tout récemment, il aurait fallu identifier les insectes capturés avec un piège un à un. Beaucoup de moustiques se ressemblent. »
« À présent, la métagénomique nous offre d'un seul coup l'ADN de tous les organismes piégés, si bien que l'on sait exactement de quelles espèces il s'agit et on peut se faire une idée de leurs proportions. Quand on examine ces résultats dans le temps, il est possible d'établir, de façon rapide et peu couteuse, comment un changement d'habitat peut influer sur une espèce préoccupante dans une région précise. »
Environnement
Entre autres activités, les chercheurs d'ECCC participant au projet déterminent comment une modification de la vocation des terres peut affecter la taille et la composition de la population aviaire. Ils prélèvent des échantillons du sang des oiseaux locaux et vérifient la présence de diverses maladies pour concourir au projet de M. Ogden.
« Il ne s'agit pas seulement de compter le nombre d'oiseaux qui sont porteurs de la maladie, mais d'en identifier l'espèce », explique M. Ogden. « Le merle et le moineau, par exemple, sont les réservoirs les plus courants du virus de la fièvre du Nil occidental. Ils sont aussi les premiers à remplacer les espèces qui désertent un habitat quand il s'est trop modifié. Comme les risques de transmission augmentent avec le nombre de merles et de moineaux, le projet nous aide à comprendre comment les activités qui affectent la biodiversité des oiseaux ont aussi des répercussions sur la santé publique. »
Production alimentaire
Par ailleurs, les techniques de métagénomique donnent aux chercheurs l'occasion de jeter un œil sur la population d'unicellulaires qui explique la vitalité et la productivité du sol — ce que l'on a longtemps considéré être l'équivalent d'une « boîte noire ». Ces mêmes techniques leur permettent aussi d'établir simultanément la façon dont les pratiques agricoles affectent cette population.
Selon Greg Mitchell, scientifique à ECCC, le projet examine d'autres manières dont les pratiques agricoles affectent la productivité. « En analysant leurs fientes par la métagénomique, il est possible d'établir ce que diverses espèces d'oiseaux aiment manger. Certaines sont d'importants prédateurs des insectes qui dévastent les cultures, explique‑t‑il. S'il détruit ou abîme l'habitat de ces oiseaux, l'agriculteur se prive d'un avantage. Il en va autant pour les insectes utiles, telle l'abeille, qui pollinise les fleurs et joue un rôle dans le rendement de toute une gamme de cultures vivrières. »
Comprendre comment tout est relié
M. Baird — qui copilote aussi le projet d'Écobiomique de l'IRDG dans son ensemble — pense que l'étude de la rivière Nation Sud illustre à merveille le type de collaboration à la base de cette grande aventure.
« Le projet d'Écobiomique est vraiment unique au monde, affirme‑t‑il. Des spécialistes de l'environnement, de la botanique, de la zoologie, de la microbiologie et d'autres domaines se sont donné la main pour saisir le système dans sa totalité. Ils n'étudient pas seulement les insectes, ou les oiseaux, voire les microbes dans le sol et l'eau, ils examinent la biodiversité au grand complet : toutes les espèces qui la composent et la façon dont elles interagissent, ainsi que les conséquences, bonnes ou mauvaises, de l'activité humaine sur cette biodiversité et ces interactions. »
À AAC, M. Lapen croit que le but ultime consiste à parvenir à de meilleures prévisions. « En d'autres termes, nous rassemblons les éléments qui nous permettront de dire : ″avec telles ou telles pratiques, on obtiendra sans doute les résultats que voici″, dit‑il. Cela ajoutera une nouvelle dimension à ce que nous entreprenons, qu'il s'agisse de recommander les meilleures pratiques agronomiques, d'effectuer une évaluation environnementale ou de restaurer une région dévastée. »
Des avantages pour les Canadiens
À l'Institut canadien des politiques agroalimentaires (ICPA) d'Ottawa, Tülay Yildirim estime que les recherches poursuivies dans le cadre du projet d'Écobiomique pourraient se solder par des avantages majeurs pour l'agriculture et l'environnement.
« Nous savons que les unicellulaires présents dans le sol jouent un rôle capital dans la vitalité et la productivité de ce dernier », explique Mme Yildirim, directrice des partenariats en politique scientifique à l'ICPA. « Les producteurs sont toujours curieux de savoir comment ils pourraient rendre le sol plus fertile et tout ce qu'il est possible d'apprendre sur les liens existant entre ce que l'on fait au‑dessus du sol et ce qui se passe en dessous est précieux, mieux comprendre le rôle de la population microbienne dans la séquestration du carbone, par exemple. »
À la Conservation de la Nation Sud, organisme régional de protection de l'environnement, la responsable des projets spéciaux Ronda Boutz est persuadée que le projet de l'IRDG perpétue une riche tradition de collaboration avec le gouvernement fédéral sur une brochette de dossiers environnementaux et agricoles. « Les activités récentes du projet d'Écobiomique nous en ont appris plus sur la manière dont les facteurs de stress naturels et anthropiques affectent la biodiversité aquatique et terrestre, déclare‑t‑elle, mais encore plus ce que l'on pourrait faire pour que notre bassin hydrographique en pâtisse moins. »