Les petites choses comptent : la génomique nous en apprend davantage sur la microflore du sol

- Ottawa, Ontario

La biodiversité des microorganismes qui nous entourent défie l'imagination. Songez-y : un gramme de sol ou 100 millilitres d'eau en renferment des millions. Or, ces populations d'unicellulaires complexes jouent un rôle déterminant dans la vitalité des écosystèmes dont dépend la vie humaine, de l'eau potable à la productivité des cultures.

Grâce aux fonds de l'Initiative de recherche et développement en génomique (IRDG) du gouvernement canadien, des chercheurs fédéraux collaborent au projet d'Écobiomique et tirent parti des nouvelles technologies en génomique pour mieux comprendre comment fonctionnent les populations d'unicellulaires.

À la station de recherche d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) de Harrow, dans le sud‑ouest de l'Ontario, par exemple, Lori Phillips (Ph. D.), qui se spécialise dans l'écologie de la microflore tellurique, étudie la manière dont diverses pratiques agricoles modifient la population d'unicellulaires et l'impact que cela peut avoir sur la santé du sol et des cours d'eau voisins.

Petit, mais puissant

« Les microbes présents dans le sol sont à l'origine d'un certain nombre de phénomènes essentiels. Certains, par exemple, transforment les engrais afin que les plantes puissent les assimiler », explique Mme Phillips. « Donc, une des questions auxquelles nous essayons de répondre a trait à notre capacité à gérer l'abondance et l'activité de ces unicellulaires, car si les engrais ne sont pas modifiés afin que les végétaux puissent utiliser leurs éléments nutritifs au bon moment, ces derniers pourraient échouer dans les fossés qui drainent les champs et aboutir dans un ruisseau, puis une rivière ou un lac, et favoriser la prolifération des algues ou d'autres graves problèmes environnementaux. »

« D'un autre côté, ces microbes et d'autres mobilisent les éléments nutritifs tels le phosphore et l'azote, qui pourraient fuir plus facilement du sol », reprend Mme Phillips. « Donc, nous examinons aussi comment les pratiques agricoles peuvent ralentir la croissance des unicellulaires à différents moments de l'année. »

Suivre les déplacements de la microflore

L'équipe scientifique pilotée par Mme Phillips à AAC collabore avec un groupe d'Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) pour étudier le cheminement des oligoéléments des terres cultivées aux cours d'eau, et voir quels microorganismes en profitent pour être du voyage.

On doit les proliférations toxiques d'algues, par exemple, aux cyanobactéries, des unicellulaires très communs. Avec l'équipe d'AAC, Sophie Crèvecœur (Ph. D.) et son équipe du Centre canadien des eaux intérieures d'ECCC, à Burlington (Ontario), utilisent l'analyse de l'ADN pour déterminer si les cyanobactéries dans le sol, près des cours d'eau, ont des liens avec celles qui foisonnent dans les lacs et les rivières à proximité, au point de devenir toxiques.

« En examinant les échantillons prélevés au fond des cours d'eau, on peut établir comment la population de cyanobactéries évolue à mesure qu'elle descend le courant et la façon dont d'autres microorganismes interviennent dans cette évolution », explique Mme Crèvecœur. « Il est possible de savoir, notamment, si certains membres de la microflore convertissent les oligoéléments pour que les cyanobactéries s'en servent et se multiplient en créant des efflorescences. »

Ouvrir la « boîte noire »

Tom Edge (Ph. D.), qui codirigeait au départ le projet d'Écobiomique à ECCC, pense que la génomique a révolutionné l'étude des populations microbiennes dans le sol et l'eau.

« Jusqu'à tout récemment, ce que l'on pouvait étudier se résumait à ce qui se voyait au microscope et à ce que l'on pouvait cultiver en laboratoire. À dire vrai, ces populations d'unicellulaires étaient comme une sorte de boîte noire », déclare M. Edge, désormais professeur de biologie associé à l'Université McMaster de Hamilton. « À présent — et les investissements de l'IRDG y comptent pour beaucoup en ce qui concerne le gouvernement canadien —, nous disposons de technologies qui dévoilent tout l'ADN qui s'y trouve, si bien que l'on peut vraiment déterminer quels microorganismes font ceci ou cela, dans quelles conditions telle ou telle espèce prolifère, et lesquelles annoncent des changements dramatiques dans l'environnement. »

Une collaboration intergouvernementale…

Les recherches poursuivies par M. Phillips et Mme Crèvecœur figurent parmi les seize études complémentaires qui, ensemble, forment le projet d'Écobiomique de l'IRDG, un projet de 5 ans auquel des dizaines de scientifiques de 7 ministères et organismes fédéraux concourent en mettant en commun leurs ressources et leurs connaissances, histoire de mieux comprendre l'incroyable diversité des microorganismes et des invertébrés sur laquelle repose la vitalité des écosystèmes terrestres et dulcicoles.

… et transfrontalière

Depuis qu'ils se sont rencontrés à un colloque international, M. Phillips et Veronica Acosta‑Martinez, spécialistes du sol au Département de l'Agriculture des États‑Unis (USDA), à Lubbock (Texas), collaborent sur un autre projet. Ce projet a amené Lumarie Perez‑Guzman, postdoctorante de l'USDA, à visiter la station de Harrow durant l'été 2019, afin que M. Philips lui apprenne les techniques de biologie moléculaire mises au point grâce au programme de l'IRDG.

« Nous nous intéressons tous deux à la microflore tellurique et au sol en tant qu'écosystème vivant, mais les sols sur lesquels nous travaillons sont fort différents. Nous disposons aussi d'autres ressources et nos méthodes diffèrent. Donc, c'était l'occasion rêvée de partager nos découvertes et d'élargir nos connaissances », explique Mme Acosta‑Martinez. « Ainsi, nous avons pu voir comment les populations microbiennes opèrent dans une plus grande plage de sols et de conditions. Chacun profite également des liens qu'il a tissés pour valider ses propres protocoles expérimentaux. »

Des connaissances pratiques

Pour M. Phillips, aussi complexe que paraisse la science, ses buts restent fort simples : « Nous enrichissons le savoir pour parvenir à une productivité à long terme et faire en sorte que l'agriculture devienne durable sur le plan de l'environnement, dit‑il. Nous avons déjà réalisé quelques découvertes importantes. Identifier les microorganismes qui se multiplient davantage avec une culture ou une autre, par exemple. Donc nous pourrons préciser davantage les conséquences de certains assolements. »

La métagénomique permet aux scientifiques fédéraux de scruter la « boîte noire » que sont les populations complexes de microorganismes présentes dans l'eau et le sol, et qui jouent un rôle fondamental dans la vigueur des écosystèmes dont dépend l'être humain, qu'il s'agisse de l'eau potable ou de cultures productives.