Les plasmides : des travaux de recherche menés par le gouvernement fédéral percent les secrets génétiques de la transmissibilité de la résistance aux antimicrobiens

- Ottawa

Les chercheurs du gouvernement du Canada éclaircissent un mystère qui hante les scientifiques du monde entier depuis les années 1940. En effet, une équipe de l'Agence de santé publique du Canada (ASPC), financée par l'Initiative de recherche et développement en génomique (IRDG) du gouvernement fédéral, révèle un mécanisme de transmission de la résistance aux antimicrobiens d'une espèce de bactérie à une autre par des fragments d'ADN appelés plasmides.

Un mécanisme fondamental

Un plasmide est une petite molécule d'ADN à l'intérieur d'une cellule qui, bien qu'elle ne fasse pas partie des chromosomes principaux, porte des gènes qui peuvent affecter les caractéristiques de la bactérie, notamment sa résistance aux antibiotiques.

« Le problème avec les plasmides réside dans le fait qu'ils peuvent, lorsqu'ils se répliquent, passer d'une espèce de bactérie à une autre, mentionne John Nash (Ph.D.), responsable de projet au Laboratoire national de microbiologie de l'ASPC. Et, puisqu'ils peuvent être porteurs de gènes de résistance aux antimicrobiens, il devient essentiel de comprendre comment ils se déplacent d'une espèce à l'autre, à quelle fréquence, dans quel environnement et quelles espèces bactériennes peuvent recevoir des plasmides la résistance aux antimicrobiens. Voilà là quelques‑uns des éléments qui entrent en jeu dans la prévision et la gestion du mouvement mondial de la résistance aux antimicrobiens. »

Comment prévoir les plasmides

« Le problème avec les plasmides, c'est qu'ils peuvent, lorsqu'ils se répliquent, passer d'une espèce de bactérie à une autre… et puisqu'ils peuvent être porteurs de gènes de résistance aux antimicrobiens… »

Bien que la technologie de séquençage de génome entier ait permis aux chercheurs de mieux comprendre les caractéristiques des bactéries, y compris la présence ou l'absence de gènes de résistance aux antimicrobiens, cette technologie éprouve des problèmes lorsqu'il est question des plasmides.

« Autrement dit, le séquençage de génome entier fonctionne en coupant l'ADN en petits morceaux, puis en le reconstituant d'une manière qui nous permet de voir les caractéristiques génétiques d'un isolat bactérien, y compris s'il est résistant aux antimicrobiens, précise le chercheur. Toutefois, l'ADN plasmidique comporte de nombreuses sections qui se répètent encore et encore, ce qui rend le résultat du logiciel de séquençage difficile à comprendre et nous empêche d'avoir une idée précise de ce qui se passe. »

La suite logicielle MOB

Pour s'attaquer au problème des plasmides, l'équipe dirigée par M. Nash a mis au point la suite logicielle MOB pour mobilome, un terme fourre‑tout qui inclut les éléments génétiques impliqués dans le mouvement des gènes.

Le logiciel est capable de donner un sens à l'ADN plasmidique qui a été découpé au moyen de la technologie de séquençage du génome entier. En plus de donner aux chercheurs une fenêtre sur la composition génétique des plasmides, la suite logicielle MOB peut également prédire le mécanisme spécifique qu'un type particulier de plasmide utilise pour se déplacer entre des espèces bactériennes.

« C'est considérablement plus précis que tout ce qu'il y a ailleurs, mentionne‑t‑il. »

Un effort concerté

La recherche dirigée par M. Nash s'inscrit dans le cadre du projet quinquennal interministériel sur la résistance aux antimicrobiens de l'IRDG, laquelle finance des projets connexes menés à l'ASPC et dans 4 autres ministères et organismes fédéraux selon une approche intégrée unique pour élucider la résistance aux antimicrobiens.

« J'ai peine à croire qu'une suite logicielle comme celle de MOB pourrait provenir d'un laboratoire gouvernemental d'un autre pays. »

Andrew McArthur (Ph.D.), Université McMaster

« D'autres projets génèrent des données sur la résistance aux antimicrobiens à partir d'isolats bactériens recueillis partout au Canada — dans l'environnement, dans la production alimentaire, dans les hôpitaux et même dans les rejets d'eaux usées, explique M. Nash. Grâce à la collaboration rendue possible par l'IRDG, nous avons accès à toutes ces données, ce qui nous permet de les passer dans la suite logicielle MOB et de mieux comprendre comment les plasmides peuvent transmettre les gènes de résistance entre espèces. De plus, nos collègues des autres secteurs du projet ont accès aux connaissances que nous produisons, ce qui est très utile lorsque vient le temps de créer entre autres un modèle de gestion des risques liés à la résistance aux antimicrobiens. »

Une ressource mondiale

Dans l'esprit de la politique du gouvernement du Canada en matière de logiciels libres, la suite logicielle MOB est offerte aux chercheurs du monde entier et est déjà adoptée par les chercheurs travaillant sur la résistance aux antimicrobiens d'autres établissements au Canada et ailleurs. Il s'agit notamment de la base de données appelée Comprehensive Antibiotic Resistance Database (CARD) (en anglais seulement) de l'Université McMaster à Hamilton, en Ontario, reconnue à l'échelle mondiale comme la base de données de référence mondiale sur tous les gènes et séquences génétiques connus liés à la résistance aux antimicrobiens.

Le cofondateur de la base de données CARD, Andrew McArthur (Ph.D.), affirme que la recherche de M. Nash apporte une contribution substantielle. « En ce moment, nous pouvons voir que le même gène de résistance aux antimicrobiens peut apparaître dans 13 agents pathogènes différents, de sorte que le gène est manifestement très mobile, mais nous ne savons tout simplement pas comment, dit‑il. À mesure que nous intégrons la suite logicielle MOB dans notre base de données, nous pourrons établir avec précision quel plasmide porte quel gène et comment il passe d'une espèce pathogène à une autre — une information essentielle pour déterminer comment réduire le risque de ce type de transmission. »

L'IRDG : moteur d'innovation

Pour ce qui est du projet plus vaste sur la résistance aux antimicrobiens mené dans le cadre de l'IRDG, M. McArthur est d'avis que ce qui est notable, c'est la façon dont il a permis aux travaux de recherche concertés sur la résistance aux antimicrobiens de se développer, tant au gouvernement fédéral qu'avec des organismes provinciaux et le milieu universitaire. « Ce genre d'intégration et les progrès qu'elle accomplit sont vraiment impressionnants, indique‑t‑il. J'ai peine à croire qu'une suite logicielle comme celle de MOB pourrait provenir d'un laboratoire gouvernemental d'un autre pays. »

En fait, M. Nash s'est dit très flatté lors d'un congrès sur la résistance aux antimicrobiens en France, où un délégué de la Direction de la santé publique française a vu son badge et lui a dit : « John Nash! Vous avez créé la suite logicielle MOB; on l'utilise tout le temps! »