L'expression « macro-invertébrés benthiques » désigne les minuscules créatures qui colonisent le fond des étendues d'eau. En font partie les vers, de petits crustacés, des escargots et les larves d'insecte.
Ces animaux sont sensibles à diverses perturbations de leur milieu. C'est pourquoi on en surveille le nombre et la diversité depuis longtemps, histoire d'évaluer la vitalité d'une étendue d'eau.
Déterminer quoi est quoi
Même s'ils sont habituellement assez gros pour être visibles à l'œil nu, identifier les macro-invertébrés benthiques n'est pas chose facile. Or, leur surveillance repose sur une identification précise, car aucune espèce ne réagit aux mêmes stress.
Deux chercheurs du Canada Atlantique et leur équipe — le premier de Pêches et Océans Canada (MPO), à Moncton (Nouveau-Brunswick), le second d'Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), près de Fredericton — ont illustré comment la génomique améliore la biosurveillance par une identification plus précise, plus rapide et moins onéreuse de ces organismes.
Le projet
Grâce aux fonds de l'Initiative de recherche et développement en génomique (IRDG), Nellie Gagné, scientifique au MPO, et Donald Baird (Ph. D.), chercheur d'ECCC, étudient les macro-invertébrés recueillis du fond des lacs, des rivières et des ruisseaux des provinces de l'Atlantique pour les identifier. Ensuite, ils comparent les résultats au moyen de 2 méthodes.
« Nous les identifions d'abord de la manière classique, c'est-à-dire en examinant le spécimen au microscope », explique Mme Gagné. « Ensuite, nous recourons à la génomique et comparons son ADN à celui des milliers d'organismes catalogués lors d'une vaste campagne internationale qui inclut d'autres projets subventionnés par l'IRDG. »
Les avantages indiscutables de la génomique
« Établir les subtiles caractéristiques qui distinguent une espèce d'une autre n'est parfois pas une mince affaire, même au microscope », reprend Mme Gagné. « Il arrive que seules quelques personnes au pays aient assez d'expertise pour cela. »
En revanche, le séquençage à fort débit, qui déchiffre le code à barres de l'ADN, fournit beaucoup plus d'informations, et plus rapidement. Des informations qui sont aussi plus précises, comme l'explique M. Baird. « C'est une simplification à outrance, dit-il, mais, en un sens, avec cette technologie, on place l'échantillon prélevé du fond de la rivière dans l'appareil et, peu après, on obtient l'ADN de toutes les espèces qui s'y trouvent, sans même avoir à les examiner directement. »
Biosurveillance 2.0
Le Réseau canadien de biosurveillance aquatique (RCBA) vérifie la vitalité des eaux douces du Canada. Ce partenariat national, chapeauté par ECCC, rassemble des administrations provinciales et territoriales, des universités, des associations autochtones et d'autres groupes. Les échantillons que l'on prélève dans les lacs et les rivières du pays sont remis au RCBA.
Au bureau de l'Atlantique du Service de monitorage et de surveillance de la qualité de l'eau d'ECCC, Vincent Mercier, directeur des projets spéciaux, estime que les travaux menés dans le cadre de l'IRDG promettent une amélioration draconienne de la nature et du volume des informations glanées par le RCBA. Ils promettent aussi d'aider les gestionnaires et les responsables de la réglementation à prendre des décisions qui s'appuient sur la réalité.
« On ne peut pas tout voir, tout répertorier avec les méthodes classiques », soutient M. Mercier. « Les techniques qui font appel à la génomique, en revanche, brossent un tableau complet de la situation. C'est la biosurveillance 2.0, en quelque sorte. Ces techniques dévoilent les effets nettement plus pernicieux des bouleversements environnementaux. Nous commençons à peine à comprendre ce que toutes ces informations inédites révèlent. »
Enrichir le savoir
Entre autres, on comprend mieux ce dont se nourrissent le saumon et d'autres poissons, ce qui ajoute une toute nouvelle dimension à la biosurveillance des eaux douces.
Comme le souligne Mme Gagné, déterminer ce qu'a mangé un poisson en examinant le contenu de son estomac est malaisé. « Désormais, on le saura avec précision grâce à l'ADN que l'on y aura retrouvé, ajoute-t-elle. Par la même occasion, on verra de quelle façon les changements subis par la biodiversité des invertébrés affectent le saumon et d'autres espèces d'importance commerciale. »
Une collaboration transgouvernementale
L'étude pilotée par Mme Gagné et M. Baird s'intègre à l'un des plus ambitieux projets de recherche entrepris par le gouvernement fédéral. En effet, lancé en avril 2016, le projet quinquennal Écobiomique de l'IRDG regroupe 64 chercheurs de 7 ministères et organismes fédéraux qui travaillent sur 16 projets distincts, mais reliés entre eux.
Le projet d'Écobiomique exploitera les possibilités de la génomique pour nous aider à mieux comprendre et caractériser l'incroyable variété de microorganismes et d'invertébrés qui confèrent au sol sa vitalité et préservent la qualité de l'eau. Des connaissances qui auront d'innombrables retombées bénéfiques, comme celles de mieux préserver l'environnement ainsi que de rendre l'agriculture plus productive et durable.